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LE PESSIMISME


Ignorant que la vie est pleine de mensonges,
Vous écoutiez en vous la divine chanson !


Le soir ils se sentent troublés par la nuit qui tombe, ils ont vaguement peur, ils se prennent par la main pour se sentir moins seuls. Ils s’arrêtent au bord d’un large étang, où s’amoncellent, sous la nappe profonde des eaux, les pleurs d’argent tombés du ciel nocturne.


Les enfants, inclinés sur la pente des rives,
Essuyant pour mieux voir leurs yeux où nage encor
Un reste de tristesse et des larmes naïves,
Contemplaient à l’envi ce splendide trésor.

Tels que des papillons vers la beauté des flammes,
Un charme les plongea dans le gouffre mortel
Et le bois entendit comme un vol de deux âmes
Effleurer le feuillage en retournant au ciel.


Parfois le poète déclare ouvertement son intention d’en finir promptement, violemment avec une existence qui lui est à charge.


Le mal est de trop vivre, et la mort est meilleure…


Son « vœu suprême », c’est de sortir de ce monde en répandant sa vie à flots par une large blessure, comme le soldat ou comme le martyr :


Ô sang mystérieux, ô splendide baptême,
Puissé-je, aux cris hideux du vulgaire hébété,
Entrer, ceint de ta pourpre, en mon éternité[1] !


Mais ce n’est là qu’un vœu, et qu’un rêve. En fait, il n’est pas possible de s’évader de l’existence, soit qu’on ne s’en reconnaisse pas le droit, soit qu’on n’en ait pas le triste courage. Il faut suivre jusqu’au bout sa voie douloureuse. Il faut se résigner à vivre, en enviant les morts, pour qui la vie n’est plus qu’un songe évanoui :


Oubliez, oubliez, vos cœurs sont consumés
De sang et de chaleur vos artères sont vides.
Ô morts, morts bienheureux, en proie aux vers avides,
Souvenez-vous plutôt de la vie, et dormez !

  1. Poèmes Barbares : Le Vœu suprême.