que l’on comprenne bien que le poète, quand il se plaignait de la vie, avait quelques raisons d’en dire du mal. Si l’on ajoute à ces causes de découragement le regret toujours présent et douloureux de son pays natal, on ne s’étonnera pas des plaintes amères dont sa poésie de cette époque — et de toutes les époques, une fois le pli donné au caractère — est si souvent l’écho :
Comme un morne exilé, loin de ceux que j’aimais,
Je m’éloigne à pas lents des beaux jours de ma vie,
Du pays enchanté qu’on ne revoit jamais.
Sur la haute colline où la route dévie
Je m’arrête et vois fuir à l’horizon dormant
Ma dernière espérance, et pleure amèrement[1]…
Et l’on comprendra qu’il y a autre chose que de l’excitation cérébrale, de la rhétorique ou de la « littérature » dans ces aspirations au repos, au néant, à la mort qui reviennent lugubrement dans ses vers. Tantôt, c’est le regret de n’être pas mort jeune, de n’avoir pas été affranchi de la vie avant d’en avoir connu les tristesses :
Nature ! immensité si tranquille et si belle,
Majestueux abîme où dort l’oubli sacré,
Que ne me plongeais-tu dans ta paix immortelle,
Quand je n’avais encor ni souffert ni pleuré[2] ?
Tantôt, c’est l’insistance avec laquelle il évoque l’image du suicide apaisant et libérateur, du détachement insensible et doux de cette vie. La fin des Étoiles Mortelles, telle surtout qu’on peut la lire dans la version primitive[3], est significative à cet égard. Ils sont là deux beaux enfants », l’amoureux et l’amoureuse, qui, toute la journée, pareils aux Amants de Montmorency que jadis Vigny avait mis en scène, ont couru les bois, en riant et en cueillant des fruits et des fleurs.
Ô rêveurs innocents, fiers de vos premiers songes,
Jeunes esprits, cœurs d’or rendant le même son,