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LE PESSIMISME

On ne sait quel succès eut l’intervention de Pierre Lebrun. Le salut cette fois vint d’ailleurs. Le Conseil général de la Réunion attribua au jeune compatriote, deux fois couronné par l’Académie française, une petite pension, qui, pendant quelques années, lui fut régulièrement servie. Puis, un jour, on la lui supprima. C’est alors, en 1864, que Leconte de Lisle, ayant à pourvoir non seulement aux dépenses de son ménage — il s’était marié entre temps — mais encore à l’entretien d’une partie de sa famille de Bourbon, qui était retombée à sa charge, épuisa la coupe d’amertume. Il dut se résigner, lui anti-bonapartiste, lui républicain, lui ancien révolutionnaire, à accepter une allocation de 300 francs par mois sur la cassette impériale. On la lui a plus d’une fois durement reprochée. Quelle ironie ! Pour un caractère comme le sien, une telle humiliation, même ignorée du public, même intime et secrète, était une torture plus cruelle que les plus cruelles privations.

Je ne connais pas de meilleure illustration que cette vie à la maxime amère et profonde de Juvénal :


Haud facile emergunt, quoniam virtutibus obstat
Res angusta domi.


Quand on songe que c’est au milieu de ces soucis d’argent et dans les intervalles de ces pénibles démarches que furent conçues ou écrites la plupart des belles pièces qui composent actuellement le recueil des Poèmes Barbares, on se demande avec une sorte de stupeur quel amour passionné de son art, quelle robuste confiance en lui-même et quelle tenace volonté il fallut à cet homme pour persévérer dans son effort. Et on ne risque plus de prendre pour des déclamations banales les anathèmes qu’il lance contre la société de son temps.

Si je me suis laissé entraîner, en effet, à parler longuement des embarras pécuniaires de Leconte de Lisle, ce n’est pas pour le plaisir d’étaler la misère d’un grand écrivain ; ce n’est pas non plus que, dans ma pensée, ses opinions philosophiques dépendent nécessairement de l’état de son porte-monnaie ; mais, c’est pour