le poète retourné en France, devant les sourires de la fortune elle aurait fondu à « ces premiers rayons de la gloire, qui sont plus doux que les premiers feux de l’aurore ». Mais l’homme est l’artisan de sa destinée, et nous savons déjà que Leconte de Lisle n’avait ni les qualités ni les défauts qu’il fallait pour rendre la sienne heureuse. Il n’eut pas à subir de retentissantes infortunes, mais à lutter, ce qui, à de certains égards, est pire, contre la difficulté incessamment renouvelée d’assurer son pain quotidien. Pendant toute sa jeunesse, et même jusque dans son âge mûr, il se trouva dans une situation non pas modeste, mais précaire, et souvent même plus que précaire. Nous l’avons vu à Rennes, réduit, par sa faute sans doute, mais enfin réduit pour vivre à de misérables expédients. Nous l’avons retrouvé à Paris subsistant maigrement des faibles appointements qu’il recevait de La Démocratie Pacifique et d’une petite pension que lui faisait sa famille. En 1848, tout lui manqua à la fois. Il n’eut plus d’autres ressources que de donner des leçons de grec et de latin, et de se mettre aux gages des libraires. Comment en vivait-il ? Béranger, dont il avait fait, on ne sait trop par quelle voie, la connaissance, et qui s’intéressait à lui, va nous le dire. Au mois de janvier 1853, l’auteur des Chansons recommandait — rapprochement inattendu — l’auteur des Poèmes Antiques, qui venaient de paraître, à la bienveillance de Pierre Lebrun, poète lui-même, sénateur et membre de l’Académie française, en compagnie et à la suite d’un obscur littérateur de l’époque, Hippolyte Tampucci. « Mon autre recommandation, écrivait-il, est en faveur de M. Leconte de Lisle, dont je vous ai remis le volume ; volume plein de magnifiques vers, ainsi que vous avez pu vous en assurer. Je vous dirai, moi qui recommande plus les auteurs que les livres, que ce jeune homme est ici dans un état voisin de l’indigence. » Les Poèmes Antiques, en effet, n’avaient pas trouvé beaucoup d’acheteurs on prétend même que, pour se faire quelque argent, Leconte de Lisle en devait vendre les exemplaires aux bouquinistes des quais. Le recueil, et celui qui suivit en 1855, les Poèmes et Poésies, valurent à l’auteur deux prix académiques, plus une gratification de cinq cents francs, obtenue du ministère de l’Instruc-
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LE PESSIMISME