paresse, et le poète ne protestait contre le reproche qu’au point de vue de l’esprit. « Quand tu me traites de paresseux, je présume que tu veux parler de mes jambes, car, pour le travail intellectuel, j’affirme que peu de bœufs me valent. » Et il en fournissait la preuve. Il n’en eût peut-être que mieux valu pour lui, s’il avait eu, avec un corps plus actif, une âme moins contemplative, s’il eût vécu davantage hors de lui-même, s’il eût été plus disposé à se mêler à la foule des hommes et plus apte à y jouer des coudes, plus remuant et plus habile. Il faut le prendre tel qu’il était, tel qu’il s’est peint lui-même à nous dans une de ses nouvelles en prose[1], sous le nom de Georges Fleurimont. Ce Georges Fleurimont, au physique, lui ressemble singulièrement : « de grands yeux bleus, le front large, les lèvres fines et les cheveux blonds. » Au moral, il paraît bien qu’il en est de même « une passion, d’autant plus violente que sa nature normale était apathique, s’était allumée dans son cœur, et ses désirs inassouvis le dévoraient. » Dans l’âme du jeune Leconte de Lisle, ce n’est pas une passion, c’est toutes les passions qui s’étaient allumées à la fois non seulement, comme nous l’avons vu, l’amour de la femme, mais l’amour de la poésie et l’amour de la gloire, mais l’amour de la justice et l’amour de la liberté. Dans une de ses plus belles pièces, et de celles qui jettent le plus de lueur sur son être intime, il a fait allusion à ces heures tumultueuses de son adolescence :
Autrefois, quand l’essaim fougueux des premiers rêves
Sortait en tourbillons de mon cœur transporté
Quand je restais couché sur le sable des grèves,
La face vers le ciel et vers la liberté ;…
Incliné sur le gouffre inconnu de la vie,
Palpitant de terreur joyeuse et de désir,
Quand j’embrassais dans une irrésistible envie
L’ombre de tous les biens que je n’ai pu saisir[2]…
Un fragment de ses lettres de jeunesse complète et commente