plaisait à évoquer, plein d’oiseaux, de feuillages légers, d’arbres en fleur, d’eaux limpides, et de splendide soleil
Tout n’était que lumière, amour, joie, harmonie ;
Et moi, bien qu’ébloui de ce monde charmant,
J’avais au fond du cœur comme un gémissement,
Un douloureux soupir, une plainte infinie,
Très lointaine et très vague et triste amèrement.
C’est que devant ta grâce et ta beauté, Nature !
Enfant qui n’avais rien souffert ni deviné,
Je sentais croître en moi l’homme prédestiné,
Et je pleurais, saisi de l’angoisse future,
Épouvanté de vivre, hélas et d’être né[1].
Sans doute le commentaire est postérieur de bien des années à l’impression reçue. La vie a repassé sur le trait initial pour l’approfondir et l’envenimer. La sensibilité de l’adolescent est aiguisée rétroactivement par l’expérience de l’homme. Mais l’impression est certaine. Elle révèle, sans que nous en puissions bien démêler la cause, une tendance précoce à ta métancotie chez « l’enfant songeur ».
Cette mélancolie n’était encore qu’une disposition vague et presque inconsciente. Elle dut se préciser et s’aggraver à mesure que se révéla la contrariété intime qui semble avoir été la source de la plupart des déboires essuyés par Leconte de Lisle au cours de son existence. La nature, en même temps qu’elle avait mis en lui une intelligence supérieure, l’avait doué d’un tempérament de créole, à la fois indolent, orgueilleux et passionné. Il n’aimait pas l’action, ni même le mouvement. Il était te premier à le reconnaître. À la suite d’un voyage de Rennes à Dinan, en 1838, il s’excusait auprès de son ami Rounet d’avoir tardé à lui écrire : « Tout déplacement produit une espèce de trouble en moi, tant est grande mon apathie physique. » Cette nonchalance était demeurée dans l’esprit de ses camarades de jeunesse comme le trait caractéristique de sa nature. En 1860, l’un d’entre eux, Charles Bénézit, son ancien collaborateur de La Variété, le taxait de
- ↑ Derniers Poèmes : L’aigu bruissement…