Néant des dieux, abjection des hommes, indifférence de la nature, tels sont les trois termes auxquels se ramène en substance t’œuvre de Leconte de Lisle, envisagée des trois points de vue où nous nous sommes successivement placés. Il semble que la simple énumération en soit assez éloquente. S’il est vrai, comme l’a dit l’auteur des Poèmes Barbares, que « toute vraie et haute poésie contient une philosophie s, sa philosophie, à lui, est ce qu’on est convenu d’appeler une philosophie pessimiste, et cette définition pourrait être considérée comme suffisante, si ce terme de pessimisme avait par lui-même un sens qui fût suffisamment précis.
Mais le pessimisme — j’entends le pessimisme poétique — n’est pas une doctrine ; c’est la réaction instinctive d’une sensibilité froissée par la vie et qui se venge en dénigrant et en maudissant la vie. Chacun de nous a ses raisons particulières de souffrir et sa manière propre de réagir à la souffrance. C’est dire qu’il y a autant de pessimismes qu’il y a d’individus. Il y en a de vulgaires, et il y en a de nobles il y en a de triviaux, et il y en a de distingués il y en a d’égoïstes, et il y en a de généreux il y en a de déprimants, et il y en a d’héroïques. Selon les motifs qui les déterminent, ils diffèrent en qualité et ils diffèrent aussi en degré, depuis le pessimisme passager, qui n’est qu’un accès de mauvaise humeur élevé à la dignité d’un principe, jusqu’au pessimisme systématique qui a la fermeté d’une conviction philosophique et implique une conception de l’univers. En sorte que ce qui est intéressant, quand nous avons affaire à un écrivain qui voit