Page:Estève - Leconte de Lisle, Boivin.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

14
LECONTE DE LISLE


Les ans n’ont pas pesé sur ta grâce immortelle.
La tombe bienheureuse a sauvé ta beauté
Il te revoit, avec tes yeux divins, et telle
Que tu lui souriais en un monde enchanté !


Cet amour de son adolescence, cet amour ardent et pur, timide et profond, muet et passionné, il a survécu à tous les autres, il a effacé tous les autres. Il a été pour Leconte de Lisle — et cela est un trait de son caractère qu’il ne faut pas négliger, car cela est le signe d’une belle âme fidèle, candide et fière — il a été non pas un pressentiment, ou un prélude, ou un présage, mais la forme idéale et parfaite de l’amour.

III

La poésie n’est pas seulement affaire de sentiment. Elle est un art qui, comme tous les arts, suppose des dispositions naturelles et exige un apprentissage. Le goût d’écrire en vers était déjà dans la famille, tant du côté paternel que du côté maternel. L’apothicaire de Dinan dont Leconte de Lisle fut le petit-fils n’était pas toujours affairé autour de ses mortiers et de ses bocaux. Il. tournait le quatrain et avait, dans sa ville, réputation de poète. C’est à lui qu’on avait demandé, en 1790, les vers à inscrire sur l’autel de la Patrie, le jour de la Fédération. Ni son talent ni son civisme ne l’empêchèrent d’être incarcéré sous la Terreur. Aussi, quand les prisons se rouvrirent, célébra-t-il d’enthousiasme sa libération et celle de ses compagnons d’infortune dans une pièce de poésie qui eut le plus franc et même le plus populaire succès. « Ces vers, dit un contemporain, se répandirent avec la rapidité de l’éclair dans les salons et dans les ateliers. » Du côté maternel, il y avait mieux encore. Geneviève de Riscourt de Lanux, la fille de ce François de Lanux qui fut le trisaïeul de Leconte de Lisle, avait épousé, à Bourbon, Paul de Parny. Elle fut la mère d’Evariste-Désiré de Forges, chevalier, puis vicomte de Parny, l’auteur des Élégies et de La Guerre des dieux, le chantre d’Éléonore, le libertin sensuel, passionné et grivois qui, pendant un demi-siècle et jusqu’à l’apparition de Lamartine, passa, concur-