toutes choses naissent, croissent et meurent pour faire place à d’autres qui naîtront, croîtront et mourront à leur tour, et ainsi jusqu’à l’infini :
Cedit enim rerum novitate extrusa vetustas
Semper, et ex aliis aliud reparare necesse est…
Sic alid ex alio nunquam desistet oriri[1].
Dans cette chaîne sans fin des existences, qu’importent à la puissance qui les engendre les circonstances particulières, les joies ou les peines, le bonheur ou le malheur dont chacune est accompagnée ? Que lui importe la douleur ? Que lui importe la mort ? La nature, disait Buffon, a ne permet pas à la mort d’anéantir les espèces, mais la laisse moissonner les individus et les détruire avec le temps, pour se montrer elle-même indépendante de la mort et du temps, pour exercer à chaque instant sa puissance toujours active, manifester sa plénitude par sa fécondité, et faire de l’univers, en reproduisant, en renouvelant tous les êtres, un théâtre toujours rempli, un spectacle toujours nouveau[2]. » La nature, dit à son tour Leconte de Lisle, ne donne nulle attention aux accidents qui tiennent tant de place dans notre vie, et qui nous paraissent tenir tant de place dans le monde :
La nature se rit des souffrances humaines ;
Ne contemplant jamais que sa propre grandeur,
Elle dispense à tous ses forces souveraines,
Et garde pour sa part le calme et la splendeur[3].
Il y a, dans cette manière de concevoir les rapports de l’homme avec la nature, une largeur de vues, une hauteur de pensée et une fermeté d’âme qui donnent à la poésie de Leconte de Lisle un caractère de grandeur et une indéniable originalité. Parmi ses illustres devanciers, ni Lamartine, ni Victor Hugo n’avaient songé — si ce n’est à la rencontre et sans y insister — à