Et ce sera la Nuit aveugle, la grande Ombre
Informe, dans son vide et sa stérilité,
L’abîme pacifique où gît la vanité
De ce qui fut le temps et l’espace et le nombre[1].
Leconte de Lisle goûte une sorte de plaisir sauvage à multiplier ces images de décadence, de décrépitude, de dissolution et de ruine. Devant ces visions d’apocalypse, il est pris d’une horreur religieuse et comme d’un vertige sacré.
Partagé entre le spectacle de la vie universelle et la conception de l’universel anéantissement, il ne peut se décider ni à bénir cette nature qui donne la vie, ni à maudire cette nature qui inflige la mort. Il n’est pas dupe de l’illusion sentimentale qui nous montre en elle, suivant l’aspect sous lequel nous l’envisageons, suivant aussi le penchant de notre caractère ou la disposition de l’heure, une consolatrice ou une persécutrice, une amie ou une ennemie, une mère ou une marâtre. Il la voit telle qu’elle apparaît à ceux qui la regardent de sang-froid, calme, impassible, sûre d’elle-même, présidant sans lenteur et sans hâte, sans incertitude et sans fièvre, à l’accomplissement de ses lois :
Pour qui sait pénétrer, Nature, dans tes voies,
L’illusion t’enserre et ta surface ment.
Au fond de tes douleurs comme au fond de tes joies,
Ta force est sans ivresse et sans emportement[2].
Il la voit avec les yeux d’un philosophe et d’un savant, avec ceux, si l’on veut, d’un Lucrèce ou d’un Buffon, pour prendre parmi les savants et les philosophes ceux qui offrent à la poésie une matière tout élaborée et déjà prête. Il a, comme eux, le sentiment de la permanence de ce système de forces que nous appelons la Nature sous le changement incessant des formes qui est l’effet de leur action et la condition de leur durée. Il s’incline devant une nécessité que sa raison conçoit. C’est la loi de la vie que les êtres ne se renouvellent qu’aux dépens les uns des autres, que