quelques-unes des aspirations qui prendront dans la conscience humaine la forme la plus noblement douloureuse. Sur la plage aride du Cap, Leconte de Lisle a jadis entendu, pendant des nuits entières, de maigres chiens aboyer lugubrement.
La queue en cercle sous leurs ventres palpitants,
L’œil dilaté, tremblant sur leurs pattes fébriles,
Accroupis çà et là, tous hurlaient, immobiles,
Et d’un frisson rapide agités par instants.
Il se demande, après bien des années, quel est le sens de cette
lamentation sans raison et sans fin.
Devant la lune errante aux livides clartés,
Quelle angoisse inconnue, au bord des noires ondes,
Faisait pleurer une âme en vos formes immondes ?
Pourquoi gémissiez-vous, spectres épouvantés ?
Je ne sais ; mais, ô chiens qui hurliez sur les plages
Après tant de soleils qui ne reviendront plus,
J’entends toujours, du fond de mon passé confus,
Le cri désespéré de vos douleurs sauvages[1] !
Darwin attribuait aux animaux un instinct religieux. Je ne
sais s’il aurait plu à Leconte de Lisle d’aller jusque-là ; mais dans
ces créatures qui ne pleuraient ni de froid ni de faim, mais de
quelque douleur indicible, de quelque inexplicable inquiétude,
il reconnaissait un tourment analogue au tourment de la pensée
humaine, et il voyait en eux, comme Michelet, « nos frères inférieurs ».
Le spectacle de ces paysages ruisselants de lumière, de cette végétation étrange, luxuriante et magnifique, de ces bêtes superbes qui ne connaissent pas d’obstacles à leurs instincts et qui sont capables de tenir tête aux éléments, de toute cette
- ↑ Poèmes Barbares : Les Hurleurs.