carnassiers de la terre, de la mer et de l’air, pour les chasseurs aux sens aigus, aux muscles d’acier, aux gestes prompts et sûrs, une prédilection innée, que développèrent les grands voyages accomplis dans sa jeunesse de Bourbon à Nantes et de Nantes à Bourbon. Avant de quitter son île en 1837, il est probable qu’il n’avait jamais rencontré de fauves ailleurs que dans les livres à images. La première fois qu’il en vit, en chair et en os, il en fut subjugué. On se rappelle, au Cap, avec quelle admiration il suivait à travers les barreaux d’une cage, les ébats « effrayants et sublimes » d’un couple de jeunes lions, avec quelle volupté il écoutait leurs rugissements. Faisant escale à Saint-Louis du Sénégal, il visita, nous dit-on, les dépendances d’une maison qui faisait le commerce des animaux féroces. De grands ours velus étaient parqués dans un cirque immense ; leur nourriture était déposée dans de hautes cages. Le poète, jusque dans sa vieillesse, aimait à raconter « de quel bond nerveux, de quelle souplesse de chat s’enlevaient les lourdes bêtes » ; il avait, paraît-il, pour peindre leur élan, un geste à lui. Il eut l’occasion, pendant ses interminables traversées, de suivre bien des fois, dans le ciel, le vol des grands oiseaux de mer, dans le sillage du navire, quand on arrivait aux parages de l’équateur, les évolutions des requins, « des horribles bêtes avec leurs grosyeux ronds ». Le divertissement traditionnel, c’était de regarder les matelots pêcher un de ces monstres à la ligne, le haler tout vif sur le pont, et le dépecer à coups de hache, en dépit de ses terribles coups de queue. Une fois fixé en France, il ne vit plus guère, en fait d’animaux féroces, que ceux du Jardin des Plantes, où ses promenades le conduisaient assez souvent par exemple, ce vieux lion, qu’il nous peint allant et venant dans sa cage « comme un damné qui rôde dans l’enfer », et « heurtant les deux cloisons avec sa tête rude[1] ». Mais son imagination en rencontra d’autres dans les récits des voyageurs. Je le soupçonne d’avoir été un lecteur assidu du Tour du Monde, qui commença de paraître, comme on sait, en 1860. Des observations qu’il avait faites d’un œil amusé et attentif, des détails
- ↑ Poèmes Barbares : La mort d’un lion.