Mais ces spectacles lugubres ne sont pas ceux sur lesquels il aimait à arrêter sa pensée. Lorsque, dans son quatrième sur la cour, rue Cassette, ou dans son modeste cinquième du boulevard des Invalides, il fermait les yeux aux réalités médiocres de sa vie quotidienne et laissait se lever en lui les images du passé, ce qu’il revoyait, c’étaient les paysages éclatants qui avaient ébloui sa jeunesse : l’aube dardant ses flèches d’or sur la mer sereine, la montagne nageant dans l’air avec ses verts coteaux, ses cônes d’azur et ses forêts mouvantes,
Et l’île rougissante et lasse du sommeil,
Chantant et souriant aux baisers du soleil[1] ;
ou bien la lumière s’éveillant à l’orient du monde, s’épanouissant
en gerbes de flammes, inondant l’espace, bleuissant le ciel et la
mer et teignant de rose le Piton des Neiges, le seigneur géant des
grandes eaux, le vieux pic
Qui dresse, dédaigneux du fardeau des années,
Hors du gouffre natal ses parois décharnées[2].
Mais, de ces sites merveilleux, ceux qu’il évoquait le plus volontiers, c’étaient, comme il est naturel, les sites parmi lesquels son adolescence s’était déroulée : les deux ravines, la ravine du Bernica et la ravine de Saint-Gilles, qui bornaient de part et d’autre le domaine familial, et, au versant des collines, sous son toit aux « bardeaux roux jaspés de mousses d’or », au pied de la forêt, parmi les plantations verdoyantes, l’habitation paternelle.
Sous les lilas géants où vibrent les abeilles,
Voici le vert coteau, la tranquille maison,
Les grappes de letchis et les mangues vermeilles,
Et l’oiseau bleu dans le maïs en floraison
Aux pentes des pitons, parmi les cannes grêles
Dont la peau d’ambre mûr s’ouvre au jus attiédi,
Le vol vif et strident des roses sauterelles
Qui s’enivrent de la lumière de midi ;