ont tout l’air d’avoir été vus dans quelque pâturage du Berry
ou du Bourbonnais. Mais, ces exceptions une fois faites, il n’y a
rien dans l’œuvre descriptive de Leconte de Lisle qui vienne
proprement de chez nous. La nature qu’il a connue, qu’il a aimée,
qu’il a dépeinte, c’est la nature de son pays natal, celle au milieu
de laquelle il a passé les années décisives de l’adolescence. La
nature de l’île Bourbon, « cette ardente, féconde et magnifique nature qui — comme il disait lui-même — ne s’oublie pas »,
ou, pour parler plus largement, la nature tropicale a fait
de lui un paysagiste, a fait de lui un animalier, a déterminé enfin sa conception personnelle des rapports de l’homme
avec la puissance mystérieuse qui se manifeste à nous par la
beauté de l’univers.
Bourbon, nous le savons déjà, demeura dans la mémoire de Leconte de Lisle comme une sorte de paradis terrestre, « un beau pays tout rempli de fleurs, de lumière et d’azur ». Ce n’est pas que l’île n’eût ses aspects désolés et sauvages : sommets couverts de neiges éternelles, ravines encombrées de rochers gigantesques, mornes dévastés par les laves, savanes brûlées par le soleil. Ce séjour enchanteur était ravagé de temps à autre par un de ces épouvantables cataclysmes dont les habitants des régions tempérées ont peine à se faire une idée. Quelques stances, parmi les plus sombres que le poète ait écrites, évoquent le souvenir, persistant après de longues années, d’un raz de marée dont il avait dû, là-bas, être le témoin :
Le vent hurleur rompait en convulsives masses
Et sur les pics aigus éventrait les ténèbres,
Ivre, emportant par bonds dans les lames voraces
Les bandes de taureaux aux beuglements funèbres.
Semblable à quelque monstre énorme, épileptique.
Dont le poil se hérisse et dont la bave fume,
La montagne, debout dans le ciel frénétique,
Geignait affreusement, le ventre blanc d’écume[1].
- ↑ Poèmes Barbares : Mille ans après.