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LA NATURE

Or, quand on cherche quelles traces cette nature a laissées dans son œuvre, c’est à peine si on en trouve. De son séjour en Bretagne, on dirait qu’il ne lui est resté aucun souvenir. Il a goûté cependant le charme mélancolique ou sauvage de la terre bretonne. Certaines lettres de sa jeunesse le prouvent j’ai déjà eu l’occasion d’en extraire un joli passage sur la vallée de la Rance vue à l’automne des remparts de Dinan. Mais, de ces impressions, rien n’est passé dans ses essais poétiques de cette époque. Une pièce, datée d’octobre 1838, semble au premier moment devoir quelque chose aux « marines que le jeune homme a pu contempler pendant ses courses d’août et de septembre, et particulièrement au spectacle des marées de l’équinoxe


Ô tempête, ô beauté, nature échevelée,
Océan, vieux lion, crinière soulevée,
Qui croises ton regard avec l’éclair des cieux[1]


Mais on s’aperçoit, sans aller plus loin, que cette image ne s’est oiïerte à son esprit qu’à travers une pièce bien connue des Feuilles d’Automne. Si l’on veut, dans sa poésie, découvrir à toute force quelque vision personnelle des côtes de Bretagne et de l’Océan furieux qui les bat, il faut les aller chercher dans ses poèmes celtiques. Quand il décrit le château fort du Jarle de Kemper, manifestement il se souvient de la baie des Trépassés :


Sous le fouet redoublé des rafales d’hiver,
La tour du vieux Komor dressait sa masse haute,
Telle qu’un cormoran qui regarde la mer.

Un grondement immense enveloppait la côte.
Sur les fiots palpitaient, blêmes, de toutes parts,
Les âmes des noyés qui moururent en faute[2].


Dans Le Massacre de Mona revient, à plusieurs reprises, comme un accompagnement lugubre, une sorte de basse continue qui, par instants, domine et interrompt le récitatif du Barde, le

  1. Premières Poésies : Saint Jean.
  2. Poèmes Barbares : Le jugement de Komor.