Leconte de Lisle a passé en France plus de soixante années de sa vie. De trois à dix ans, il a habité, avec sa famille, la ville de Nantes. Les premiers paysages qui se sont peints dans ses yeux d’enfant et dont il a pu garder quelque chose de mieux qu’une impression confuse, ce sont les riantes campagnes de la vallée de la Loire, les vastes prairies que bornent des coteaux mollement abaissés, que baigne un grand fleuve largement épandu dans son lit doré, étreignant, de ses bras où se reflète un ciel d’un bleu adouci, des îles verdoyantes. À dix ans, il est retourné à Bourbon mais, vers dix-neuf ans, il est revenu en Europe. Il a séjourné en Bretagne. Il n’a pas seulement vécu dans les villes, à Rennes ou à Dinan il a parcouru le pays à pied, à plusieurs reprises, une fois au moins en compagnie de peintres, de gens qui étaient venus pour voir et qui savaient voir. Il a erré, nous dit-on, au clair de lune sur la lande de Carnac ; il a failli s’enliser dans les grèves du Mont-Saint-Michel ; il a vu la grande houle de l’Atlantique déferler sur les rochers du Raz ou de Penmarch. Plus tard, pendant une résidence ininterrompue de cinquante années dans la capitale, il a dû avoir maintes occasions de visiter les sites aimables et délicats de l’Île-de-France ; et si, pour bien des raisons, il n’a pas été un grand voyageur, il n’a pas été non plus, j’imagine, au cours d’un demi-siècle, sans étendre ses pérégrinations, ou ses villégiatures, ou ses promenades à d’autres régions de notre pays. Il semble qu’il ait été à même, autant au moins que tel ou tel de nos grands poètes, que Victor Hugo ou qu’Alfred de Vigny, de connaître la nature française.