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LES HOMMES

Il est loué, mais il est loué de telle sorte que l’éloge est presque plus insultant que le blâme. « Saint Louis était un homme juste, généreux, plein d’honneur et d’héroïsme. C’est le plus beau caractère du xiiie siècle. Les grandes vertus lui étaient propres, ses vices étaient chrétiens. » Et pour conclure « Le Christianisme, et il faut entendre par là toutes les communions chrétiennes, depuis le catholicisme romain jusqu’aux plus infimes sectes protestantes ou schismatiques, n’a jamais exercé qu’une influence déplorable sur les intelligences et les mœurs. » De telles affirmations portent leur réfutation en elles-mêmes. Si elles prouvent quelque chose, c’est jusqu’à quel point la passion anti-religieuse peut rétrécir et aveugler un grand esprit. Au point de vue proprement littéraire, nous en conclurons par surcroît que Leconte de Lisle n’était guère en état de remplir la dernière des conditions qu’il imposait à l’auteur d’une épopée cyclique embrassant dans son large développement l’humanité tout entière, et que si l’on peut reprocher à quelqu’un d’avoir choisi, dans le passé, « des thèmes propres au développement des idées et des aspirations du temps où il vivait en réalité », c’est bien au poète qui a gâté une partie de son œuvre, et qui n’en aurait pas été la moins neuve et la moins attrayante, en y infusant le philosophisme du xviiie siècle et l’anticléricalisme du xixe.

Est-ce à dire que ce contempteur du Moyen Âge professe pour les temps modernes une admiration sans bornes, ou qu’il ait une confiance illimitée dans l’avenir qui s’ouvre devant le genre humain ? S’il a nourri, à une certaine époque de sa vie, des illusions de cette sorte, elles se sont dissipées assez vite, et il pris soin lui-même — nous avons pu le constater déjà — d’effacer presque toutes les traces qui auraient pu en subsister dans son œuvre. La civilisation actuelle ne lui inspire pas moins d’horreur que la société féodale. « Depuis Homère, Eschyle et Sophocle, déclare la préface des Poèmes Antiques,… la décadence et la barbarie ont envahi l’esprit humain. » On s’attendrait qu’il saluât avec enthousiasme la Renaissance, qui remit les intelligences à l’école des maîtres antiques. Il n’en est rien. À partir du xvie siècle, il cesse de s’intéresser à l’histoire de l’humanité.