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LECONTE DE LISLE

qu’avec mépris et avec horreur ? Tout en admirant la vigueur avec laquelle Leconte de Lisle a brossé les tableaux qu’il nous en donne, on est en droit de se plaindre qu’il les ait systématiquement poussés au noir. Avec beaucoup de violences, de souffrances, de brutalité et d’iniquité, il y a eu, en ce rude temps, de l’enthousiasme, de la beauté, de la vertu, de la grandeur. Il n’était pas permis, après 1850, à qui que ce fût, même à un poète, de s’en tenir à une impression si sommaire. Pour invoquer une autorité qui ne saurait être suspecte, Leconte de Lisle aurait pu trouver dans l’Histoire de Michelet les éléments d’une peinture plus exacte, des lignes plus justes et des couleurs plus vraies. Il aurait appris tout au moins à parler avec une pitié fraternelle de ce « triste enfant arraché des entrailles même du Christianisme, qui naquit dans les larmes, qui grandit dans la prière et la rêverie, dans les angoisses du cœur, qui mourut sans achever rien », mais qui « nous a laissé de lui un si poignant souvenir, que toutes les joies, toutes les grandeurs des âges modernes ne suffiront pas à nous consoler ». Il a préféré s’en tenir à Voltaire et à l’Essai sur les Mœurs. Il s’était, pendant son adolescence à Bourbon, imbu de ces opinions surannées il y demeura fidèle jusqu’à ses derniers jours. En 1872. il publiait, sous la forme d’une petite brochure, aujourd’hui très rare, une Histoire populaire du Christianisme. Il avertit lui-même son lecteur que ce n’est pas là « un travail de critique et de discussion ». Entendez que c’est une œuvre de partialité et de haine. Il y résume en formules tranchantes les jugements que ses vers développent en diatribes éloquentes et passionnées. Le pape Grégoire le Grand est présenté comme un des plus redoutables ennemis de l’esprit a aucun des Conquérants Barbares qui s’étaient emparés de l’Italie ne fit plus de mal que lui à l’intelligence humaine ». Le xe siècle — qui est le siècle constitutif de la société féodale — est caractérisé « comme le plus ignare, le plus stupidement féroce et le plus brutalement corrompu de tous les siècles de l’ère chrétienne ». Au moins, Louis IX, dont l’Église a fait un de ses saints, mais en qui la France voit une des plus grandes figures de son histoire, trouvera-t-il grâce devant l’inflexible sévérité de l’auteur ?