la sincérité n’est qu’une preuve plus lamentable de l’égarement auquel s’est abandonné l’esprit humain. Témoin, en un temps de famine, où les pauvres paysans vaguent le long des grands chemins, en quête d’horribles nourritures, cette très noble dame qui, dans sa grande pitié pour leurs souffrances, croit fermement faire un acte de charité en mettant le feu aux quatre coins de la grange où six cents d’entre eux ont trouvé un refuge, et en les expédiant au plus vite et d’un seul coup en l’autre monde :
Tous passèrent ainsi dans leur éternité,
Prompte mort, d’une paix bienheureuse suivie[1]…
Aussi le poète voit-il poindre avec joie l’aube de ce xve siècle
qui marquera le déclin de la théocratie. Il fait, en de truculentes
paraboles, dire par Dom Guy, le prieur de la bonne abbaye de
Clairvaux, leurs vérités aux antipapes qui se disputent la chaire
de saint Pierre, aux reines qui se roulent dans la débauche, aux
rois qui font de la terre un lieu de boucherie, aux moines goinfres
et ivrognes, aux hommes de lucre qui changent la maison divine
en une caverne de voleurs, à toute cette engeance maudite que le
roi Jésus-Christ reniera au dernier jour. Il s’incline avec admiration devant les premiers martyrs de la libre pensée, qui, sur le
bûcher où ils sont mordus par la flamme, trouvent encore la
force de se redresser intrépidement et de narguer leurs bourreaux[2].
La vision du Moyen Âge que Leconte de Lisle nous offre est une vision d’enfer. Est-il nécessaire de souligner ce qu’un parti pris aussi violent comporte d’exagération, d’injustice et de fausseté ? Certes, il serait tout aussi excessif de faire de cette longue période, agitée par des guerres interminables, éprouvée par des calamités de toute sorte, une réalisation de l’âge d’or. À supposer que certains de nos contemporains expriment parfois quelque regret de n’avoir pas vécu dans ce bon vieux temps, c’est un regret tout platonique, et il n’est personne qui forme sérieusement le souhait de le voir revenir. Est-ce une raison pour n’en parler