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LECONTE DE LISLE

pères. Survienne une religion nouvelle, à l’appel de leurs prêtres, elles opposeront dieu à dieu dans une lutte inégale, ou bien, voyant la résistance impossible et ne se sentant plus de raisons de vivre, elles se laisseront, comme les Celtes de Mona, avec une indifférence dédaigneuse, massacrer par leurs meurtriers. Leconte de Lisle les regarde avec une visible sympathie opposer un suprême obstacle à la diffusion du Christianisme. L’heure viendra pourtant où les derniers récalcitrants auront reçu le baptême, où l’Occident tout entier s’inclinera sous la loi du Christ. Alors commenceront Les Siècles Maudits, comme le poète les appelle :


Hideux siècles de foi, de lèpre et de famine,
Que le reflet sanglant des bûchers illumine,
Siècles de désespoir, de peste et de haut mal !…


Siècles du serf enchaîné à la glèbe, du Juif torturé à petit feu, des hérétiques scellés dans les murs ; siècles du « noble sire aux aguets sur sa tour », prêt à descendre de son aire féodale pour rançonner le marchand qui passe ; siècles du goupillon, du froc, de la cagoule, de l’estrapade et des chevalets ; siècles d’égorgeurs, de lâches, et de brutes,


Honte de ce vieux globe et de l’humanité.


Entre les sept monts de Rome se dresse et grandit


Une bête écarlate ayant dix mille gueules,
Qui dilate sur les continents et la mer
L’arsenal monstrueux de ses griffes de fer[1].


Ce monstre qu’on dirait sorti de l’Apocalypse, c’est l’Église catholique, instrument d’oppression sur les corps et de tyrannie sur les âmes. La papauté toute-puissante tient le monde en servage par la crainte de l’enfer, et courbe à ses pieds les peuples et les empereurs. Sous cette domination insurmontable, la Chrétienté est livrée en proie à la misère et au fanatisme : misère morale autant que matérielle ; fanatisme sincère, mais dont

  1. Poèmes Tragiques : La Bête écarte.