yeux saignent il rassemble ses forces pour appeler à lui le corbeau qui tout à l’heure dévorera son cadavre :
Viens par ici, Corbeau, mon brave mangeur d’hommes !
Ouvre-moi la poitrine avec ton bec de fer.
Tu nous retrouveras demain tels que nous sommes.
Porte mon cœur tout chaud à la fille d’Ylmer…
Moi, je meurs. Mon esprit coule par vingt blessures.
J’ai fait mon temps. Buvez, ô loups, mon sang vermeil.
Jeune, brave, riant, libre et sans flétrissures,
Je vais m’asseoir, parmi les Dieux, dans le soleil[1] !
Ceux qui sont morts laissent un devoir à ceux qui restent. À défaut des hommes, les femmes se lèveront pour venger l’époux ou le père tombés. Hervor court au tertre sous lequel repose Angantyr, elle réveille son père dans la tombe, elle réclame l’épée que le héros égorgé a emportée avec lui :
Angantyr ! Angantyr ! rends-moimon héritage.
Ne fais pas cette injure à ta race, ô guerrier !
De ravir à ma soif le sang du meurtrier[2]…
De telles héroïnes, quand elles aiment, sont plus portées à la jalousie qu’à la tendresse. Et elles l’exercent avec des raffinements de férocité. Brunhild ne s’en prend pas à sa rivale Gudruna ; elle frappe le roi Sigurd, qu’elle aime et qui l’a délaissée pour la Franke.
Voilà ce que j’ai fait. C’est mieux. Je suis vengée !
Pleure, veille, languis et blasphème à ton tour !
Il est vrai qu’au moment même, elle se tue sur le corps de l’infidèle qu’elle a poignardé.
Ces âmes barbares sont aussi des âmes enfantines : elles se plaisent aux contes merveilleux, aux traditions venues de génération en génération des aïeux lointains ; elles s’attachent passionnément au culte qu’elles ont hérité de leurs