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LES ORIGINES, L’ENFANCE ET L’ADOLESCENCE

pu lui donner un enseignement très suivi. Et quel était au juste le degré d’instruction de l’ancien chirurgien sous-aide de la Grande Armée ? Il apprit sans doute à son élève ce qu’il savait : un peu de latin, un peu de sciences naturelles. Pour le reste, l’enfant n’eut guère à compter que sur les livres qui tombèrent à portée de sa main. Il avait, heureusement, un goût marqué pour la lecture. Il lut de bonne heure, et beaucoup. Une anecdote souvent citée en est la preuve. Pendant une absence de son mari, Mme Leconte de Lisle fit un séjour à Saint-Denis. Elle avait mis son fils comme externe dans une pension de la ville


Se fiant à la régularité de sa conduite habituelle, elle fut fort étonnée de recevoir la visite du chef d’institution qui lui demanda pourquoi son élève avait disparu depuis une semaine. Stupéfaite, la mère questionna son fils, qui arrivait tranquillement à l’heure de la rentrée, sans se douter de l’inquisition qui l’attendait. L’enfant se troubla, rougit et finit par avouer qu’au lieu de se rendre en classe, il allait passer toute sa journée à la bibliothèque, où un vénérable conservateur avait consenti à lui prêter sur place Walter Scott. Leconte de Lisle en était à La Prison d’Édimbourg quand cet innocent manège fut découvert mais le titre du roman n’eut rien de fatidique pour lui, car au lieu de le gronder sa mère, enchantée, lui acheta tous les romans de l’illustre auteur écossais, en le priant seulement de les lire désormais à la maison[1].


Cette prédilection de son adolescence ne se démentit jamais. Leconte de Lisle lut beaucoup d’autres livres mais, jusque dans sa vieillesse, il eut un faible, dont certains s’étonnaient, pour Walter Scott.

La nature, la rêverie, les longues lectures exaltaient l’imagination. La sensibilité s’éveilla, avec l’amour, vers la quinzième année, comme il est naturel dans un climat où l’enfance passe vite et où les passions de l’homme s’agitent déjà chez l’adolescent. Le premier amour que Leconte de Lisle éprouva, et qui devait laisser sa trace sur sa vie tout entière, fut un amour à la fois brûlant et platonique. Il avait pour objet une jeune cousine germaine, Mlle de Lanux, la fille d’un frère de Mme Leconte de Lisle, qui, au grand scandale des siens, avait épousé une quarteronne. La jeune fille habitait, elle aussi, dans les Hauts, à Bellemène, d’où, selon la coutume, elle descendait chaque dimanche

  1. Staaff, La Littérature française, 1873, III, p. 815.