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LECONTE DE LISLE

engendre l’obscurité. Pour comprendre les poèmes mythologiques et historiques de Leconte de Lisle, il faudrait souvent être aussi informé que l’auteur lui-même, connaître les sources où il puise, avoir lu les livres qu’il a lus. La prière védique pour les morts, par exemple, n’est pleinement intelligible, j’entends dans son sens littéral, que si le lecteur a quelque teinture du Rig-Véda. Parfois le contexte apporte une suffisante clarté ; parfois aussi il ne fournit que peu de lumière. Faute d’une annotation que le poète ne pouvait guère, sans tomber dans le pédantisme, mettre au bas ou à la suite de ses vers, nous en sommes réduits à charger notre mémoire de termes étrangers dont la signification nous échappe, ou d’allusions dont nous ne saisissons pas la portée. Ajoutez que la préoccupation de l’exactitude dégénère en prédilection pour l’insolite et pour le bizarre. La question des noms propres, en particulier, tient dans la poésie de Leconte de Lisle une place qu’on ne peut s’empêcher de trouver un peu excessive. Il semble que ç’a été pour lui la grande affaire, et le témoignage le plus éclatant de son esprit scientifique, que d’appeler ses héros des noms les plus dissemblables de ceux sous lesquels on les connaît ordinairement. Il lui est même arrivé de changer à plusieurs reprises sa manière de les écrire. Assurément il était légitime d’y apporter une attention méticuleuse, quand il s’agissait des dieux de la Grèce, qu’il était indispensable de distinguer, en leur restituant leurs appellations authentiques, des dieux de l’Italie avec lesquels on les avait trop longtemps confondus. Mais on peut se demander quel intérêt et quel avantage il pouvait y avoir à dire Sûrya au lieu de Sourya, Nurmahal au lieu de Nourmahal, et l’on sourit volontiers des efforts réitérés faits par le poète pour donner au nom de Caïn, devenu successivement sous sa plume Kaïn, puis Qaïn, un aspect qui fût suffisamment barbare à nos yeux.

III

Le lecteur aurait tort, néanmoins, de se laisser rebuter par ces dehors un peu rébarbatifs de la poésie de Leconte de Lisle. À regarder de plus près, il s’apercevra que cet appareil scientifique