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LES HOMMES

brossaient un décor italien ou espagnol, s’ils encadraient leurs créations dans les montagnes du Tyrol ou l’enceinte d’une vieille petite ville allemande, ne se donnaient pas la peine de chercher ailleurs qu’en eux-mêmes les éléments de leurs tableaux. Je pense au maître du genre, au Victor Hugo des Orientales, et même au Victor Hugo de La Légende des Siècles. En dépit des autorités qu’il allègue complaisamment dans ses préfaces ou dans ses notes, il en prend à son aise avec les documents. Mais son imagination, toute puissante qu’elle soit, ne saurait y suppléer. Aussi y a-t-il souvent, dans ses peintures historiques, quelque chose de faux, tout au moins d’inconsistant et de conventionnel. Il n’en va pas de même chez Leconte de Lisle. Tel de ses poèmes, en effet, n’est qu’une mosaïque dont on retrouve les fragments épars dans l’ouvrage où il s’est documenté. L’Arc de Civa ramasse en trente stances un millier de vers du Ramayana. Le poème d’Hélène est fait avec des morceaux empruntés à une demi-douzaine de poètes grecs ou latins. Les quatorze vers du sonnet intitulé Le Combat Homérique ont été glanés dans trois chants de l’Iliade. Certains poèmes espagnols sont des centons du Romancero. Comment les pièces sont choisies et ajustées, avec quel art cela est fait, nous aurons à y revenir. Pour le moment, tout ce que nous voulons observer, c’est que cela n’est pas fait de rien, et que si les tableaux que nous présente Leconte de Lisle nous frappent par leur relief et par leur couleur, et s’ils nous entrent, comme on dit, dans les yeux, c’est qu’il se mêle, dans leur composition, à l’intuition poétique, un fort élément de réalité.

En même temps qu’elle a donné de la solidité à son pittoresque, l’érudition lui a donné aussi de la variété. Puisant pour chaque poème à une source différente, et suivant ordinairement d’assez près le texte dont il s’inspirait, Leconte de Lisle avait quelques chances de tracer de chaque pays, de chaque époque, de chaque race, une image qui appartînt en propre à ce pays, à cette époque, à cette race, et ne se confondît pas avec les images voisines dans un archaïsme vague ou un exotisme banal. On sait comment, pour mettre de la couleur sur ses Orientales, Hugo avait composé sa palette de tous les souvenirs qui s’étaient, au hasard de ses