aux efforts désormais convergents de l’intelligence humaine[1]. Lorsque Leconte de Lisle empruntait à ses lectures le sujet de quelque poème, il lui arrivait de se déterminer moins par l’authenticité du récit que par l’effet poétique qu’il espérait en tirer et si, pour mettre les choses au mieux, une rapsodie comme l’Histoire de la domination des Arabes en Égypte et en Portugal, rédigée sur l’Histoire traduite de l’arabe en espagnol de M. Joseph Conde par M. de Marlès, pouvait lui en imposer par la longueur de son titre et le luxe de garanties qu’elle semblait offrir, il n’avait aucune illusion à se faire sur la valeur scientifique du Foyer Breton d’Émile Souvestre ou du Monde Antédiluvien de Ludovic de Cailleux. Et cela lui importait sans doute moins qu’on ne l’a cru et qu’il n’a voulu le faire croire lui-même. Et, en somme, il avait raison. Poète, il faisait son métier de poète. Ce qu’il demandait aux livres d’après lesquels il travaillait, ce n’était pas des documents pour écrire l’histoire, mais le choc qui ébranlait son imagination et les matériaux dont il avait besoin pour bâtir une œuvre beaucoup moins objective et impersonnelle qu’il ne l’a affirmé, comme nous le verrons bientôt.
Je ne veux pas dire, toutefois, que cette érudition, — toute discussion sur sa qualité mise à part, — n’ait conféré à la poésie de Leconte de Lisle des mérites que sans cela elle n’aurait pas eus. Elle a donné aux représentations, ou, si l’on veut, aux reconstitutions qu’il a tentées d’un passé lointain, une cohérence, une tenue, une unité que notre littérature n’avait pas encore connues. Il y avait, lorsqu’il publia ses premiers poèmes, trente à quarante ans que nos poètes s’essayaient à faire, — pour appeler la chose par son nom, — de la couleur locale. Ils y apportaient, comme on sait, un zèle aussi ardent que médiocrement éclairé. Je ne parle pas des écrivains de dixième ordre, qui, quoi qu’ils fassent, le font mal. Je ne parle pas non plus des fantaisistes à la manière d’Alfred de Musset, qui, ayant découvert assez vite le secret du procédé, professaient à son égard, — qu’on se reporte à Namouna, — le scepticisme le plus irrévérencieux, et s’ils
- ↑ Voir la Préface des Poèmes Antiques.