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LECONTE DE LISLE

Et quand l’enfant s’éloignait de la maison paternelle, du chalet de bois au toit roux, avec sa varangue basse, il allait, en ses vagabondages, jusqu’au gouffre où le ruisseau de Bernica, gonflé par les pluies, « roulait sourdement travers son lit de roches éparses », entre deux murailles de pierres calcinées par le soleil ; ou bien il errait dans l’ombre profonde de la ravine Saint-Gilles, parmi les cactus et les aloès, suivant des yeux le vol


Des martins au bec jaune et des vertes perruches,


courant après les « sauterelles rosés et « les grands papillons aux ailes magnifiques » et voyant de loin, au débouché de la gorge, se dessiner la silhouette bronzée de quelque bouvier amené de Madagascar avec les bœufs dont il a la garde, qui,


Un haillon rouge aux reins, fredonne un air saklave.
Et songe à la grande Île en regardant la mer[1].


Telle est, esquissée à grands traits, la nature merveilleuse au milieu de laquelle Leconte de Lisle passa toute son-adolescence, de sa dixième à sa dix-neuvième année. C’est elle qui fut sa grande éducatrice, et qui fit un poète de « l’enfant songeur couché sur le sable des mers ».

Il ne semble pas, en effet, que Leconte de Lisle ait été, dans sa jeunesse, un écolier remarquablement studieux. Quand il se présenta au baccalauréat, en 1838. devant la Faculté des Lettres de Rennes, il dut, selon l’usage du temps, indiquer où il avait fait ses classes. « À Nantes, déclara-t-il, et à la maison paternelle. » Il n’avait pu acquérir, dans l’institution nantaise qu’il avait fréquentée à huit ou neuf ans, que les connaissances les plus élémentaires. Quant à l’instruction donnée dans la famille, on sait qu’elle est assez sujette à deux inconvénients, l’excès d’indulgence et l’irrégularité. Si l’on en croit certains témoignages, M. Leconte de Lisle aurait élevé son fils sévèrement. Mais, d’autre part, en tenant compte de l’ardeur du climat, de la nonchalance et de la liberté des mœurs créoles, on a peine à croire qu’il ait

  1. Poèmes Barbares : La Ravine Saint-Gilles