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mais tous les âges, si éloignée, si reculée que soit pour eux cette époque ? N’est-ce pas parce que les hommes dans ces temps eurent à soutenir de si rudes combats contre le sort et contre leurs semblables ? Chacun d’eux y puisa de la force, agrandit ses qualités originelles ; chacun y trouva pour soi-même une forme nouvelle et admirable. Chaque âge qui suit doit être au-dessous de ceux qui l’ont précédé ; — et avec quelle rapidité cette décadence ne s’augmentera-t-elle pas dans l’avenir ! — Il est au-dessous pour la variété : variété de la nature, les immenses forêts sont défrichées, les marais desséchés, etc. ; variété de l’homme, elle se détruit par le progrès de communication et d’union dans les œuvres humaines ; et cela par les deux raisons indiquées plus haut[1]. C’est là une des principales causes qui rendent si rare l’idée du beau, de l’insolite, de l’étonnant. La stupéfaction, la couardise, la découverte de ressources nouvelles et inconnues rendent aussi moins souvent nécessaires les résolutions subites, imprévues

  1. Cette observation a été faite une seule fois par Rousseau dans Émile. (Note de l’auteur.) — Voici en quels termes : « Il faut avouer que les caractères originaux des peuples, s’effaçant de jour en jour, deviennent en même raison plus difficiles à saisir. À mesure que les races se mêlent et que les peuples se confondent, on voit peu à peu disparaître ces différences nationales qui frappaient jadis au premier coup d’œil. Autrefois chaque nation restait plus renfermée en elle-même ; il y avait moins de communications, moins de voyages, moins d’intérêts communs ou contraires, moins de liaisons politiques et civiles de peuple à peuple, point du tout de ces tracasseries royales appelées négociations, point d’ambassadeurs ordinaires ou résidant continuellement ; les grandes navigations étaient rares ; il y avait peu de commerce éloigné, et le peu qu’il y en avait était fait, ou par le prince même, qui s’y servait d’étrangers, ou par des gens méprisés qui ne donnaient le ton à personne et ne rapprochaient point les na-