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suite et sans liaison, où l’on retrouve, pour ainsi dire, le désordre des mondes bouleversés, épars, qu’il tâche de rendre à l’existence, ne saurait constituer, à lui seul, l’ère définitive de la géologie. Toutes les fois que la pensée du célèbre naturaliste s’élève au-dessus du mécanisme de la reconstruction des animaux, sa pensée ne rencontre plus que ténèbres. Tantôt l’auteur semble croire à une succession des êtres, tantôt au contraire il explique la différence des dépôts par un simple déplacement de choses, à la surface de la terre ; partout, en un mot, son jugement flotte. Quelle différence entre cette hésitation qui se contredit sans cesse et la hardiesse philosophique de Buffon ! Quelqu’un a dit dernièrement : « Buffon devine ; Cuvier démontre. » Ce quelqu’un s’est trompé. Entre la méthode de nos deux grands historiens de la terre, il y a un abîme. Cuvier marque au contraire un retour vers Linné, c’est-à-dire vers l’âge des classifications et de l’observation des faits à courte distance. Le véritable successeur de Buffon est, en Allemagne, l’auteur de Faust, et en France M. Geoffroy Saint-Hilaire[1]

  1. Je me trouvais au Muséum, un jour qu’on apporta le modèle d’un os de dynotherium gyganteum, récemment découvert dans une fouille. Ce formidable débris antédiluvien excita par sa grosseur une curiosité très vive. Mais l’impression ne fut pas la même pour tous les assistants. Tandis que les professeurs s’entretenaient entre eux, le grave naturaliste demeura plongé dans une rêverie immense ; à l’aide de ce fossile, il reconstruisait mentalement l’animal tout entier, puis le milieu primitif dans lequel une telle muse était destinée à vivre. Les autres savans voyaient dans cette pièce énorme un os remarquable ; M. Geoffroy Saint-Hilaire y voyait un monde. Ce naturaliste philosophe est vraiment l’auteur de l’idée de la succession des êtres, faussement attribuée à Cuvier, après sa mort. Cuvier croyait au contraire à une création unique dont les membres se seraient seulement déplacés sur le globe.