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Mais, atome perdu dans la cité béante,
Je suis seul ; pas de main à ma main suppliante
Ne s’unit ; non, pour moi, pas de souffle embaumé,
Pas un regard de miel, pas une lèvre rose,
Pas de sein où mon front fatigué se repose,
Et je mourrai sans être aimé !
 
Si, du pont dans les flots, ma tête la première
Tombait ; des bateliers, quand viendra la lumière,
Porteraient à la Morgue un cadavre inconnu ;
Et demain seulement, ma pauvre et vieille mère,
En roulant dans ses yeux une douleur amère,
Se pencherait sur mon corps nu !
 
Une voix par derrière, en riant, me tutoie,
Un bras lascif et nu dans l’ombre me coudoie,
Une fenmie, en passant, que je n’ose toucher,
Plus vile sous mes pieds que la fange du monde,
Avec un sein qui gonfle, avec un rire immonde,
Me dit : Ange, viens donc coucher !

Ô profanation ! quelle pensée amère !
L’amour, ce don du ciel, qui se vend à l’enchère !
On n’a plus pour dormir d’ombre sur les chemins.
Au lieu d’un papillon, on prend une chenille,
On ne peut rien toucher, ni la fleur ni la fille,
Sans avoir de la boue aux mains.