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Les lumières, comme des torches funèbres, répandaient une lueur languissante et livide, et à l’entour, en mouvements inégaux, les ombres s’éloignaient ou se rapprochaient : ici l’on voyait des arcs ruinés, sépulcraux, là des urnes et des statues, des colonnes brisées, des cloîtres à moitié abattus, pleins d’herbes, tristes, humides et obscurs.

Tout est vague, chimérique et sombre ; c’est un édifice sans base ni fondations : il ondule comme un navire fantastique qu’agite sur ses ancres un vent de bourrasque. Tout y gît dans un silence effrayant et froid : on n’y a jamais entendu ni la rumeur ni le souffle de l’homme ; le temps s’y écoule en silence, enseveli dans le sommeil.

Les heures mortes suivent les heures mortes à l’horloge de cette vie-là, ombres d’horreur qui tournent effrayantes, apparaissant dans une fuite peureuse ; seules et tristes habitantes de ce noir et funèbre repaire, elles semblent à celui qui altère leur paix, la fantastique chimère d’un rêve.

Et c’est sur lui qu’elles fixent leurs yeux caves qui, du fond de la longue galerie, brillent au loin comme des charbons rouges et épouvanteraient la vaillance elle-même : elles montrent sur leur visage leur courroux de voir foulée leur sombre demeure ; tantôt elles s’avancent en groupes, tantôt elles s’évanouissent dans l’ombre.

Figure satanique et grandiose, le front haut, Montemar chemine, esprit sublime en sa folie, provoquant la colère divine : œuvre fragile de matière impure, l’âme qui la soutient et l’éclairé l’égale à Dieu, et d’un vol audacieux s’élève jusqu’à son trône et le défie.

Nouveau Lucifer, le front frappé de la foudre vengeresse, âme rebelle que la crainte n’effraie pas, abattue,