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secret terrible, infernal. Quand le monde gît, mort, en un profond sommeil, quand tout annonce à l’homme qu’il devra mourir,

qu’il a follement affronté la dure tourmente de la vie, à la merci du vent, quand une voix triste compte ses heures et qu’il voit ses pompes changées en boue,

il faut qu’il ait une âme de diamant, celui qui ne sent pas son cœur palpiter d’horreur, celui qui comme don Félix, plein d’un calme serein, ne se met à penser ni à Dieu ni au diable.

À pas lents, chuchotant, le lugubre cortège arriva tout près, et la blanche dame, priant dévotement, mit les deux genoux à terre.

Le chapeau sur la tête, debout, indifférent, don Félix regarde passer le cercueil, et demande, de son air insolent, les noms de ceux qui vont au sépulcre.

Mais quelle fut sa surprise, quelle fut sa stupeur, quand saisi d’horreur, il vit avec épouvante que l’un était don Diego de Pastrana et l’autre, Dieu saint ! et l’autre c’était lui !…

Lui-même, son image, sa figure, ses traits, c’était lui-même enfin : il hésite, se tâte, et un moment, sent courir dans ses veines la froide crainte.

Après tout, il était homme, et les nerfs de l’homme tremblèrent un moment, et un moment il eut peur ; mais bientôt ils recouvrèrent leur ancienne vigueur, bientôt son impassibilité lui revint au cœur.

« Pastrana, dit-il, on fait bien de l’enterrer ; mais m’enterrer, moi, est chose vaine, et demain je me plaindrai de cette erreur.

« Dites, l’homme en deuil, qui va-t-on enterrer ?