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térieux ; tandis qu’en des danses grotesques, cent spectres sautent autour, en la lente mesure de ce funèbre fracas. Les girouettes s’inclinent en passant devant lui, les spectres le saluent, et il entend les échos des cloches se renvoyer son nom en cent langues de métal.

Mais bientôt le bruit cesse : tout se replonge dans le silence, dans une paix muette, et la ville disparaît soudain : palais et temples se changent en champs solitaires, en une lande déserte, silencieuse et mélancolique, sans lumière, sans air, sans horizon, perdue dans l’immensité. Il pense qu’il marche sans pouvoir s’arrêter jamais, mû par une impulsion étrange, avec des efforts précipités : son guide va devant lui, mystérieux et muet ; il le suit d’un pas rapide, et voici que, devant ses yeux s’élève, sur les ailes de l’ouragan, une vision sublime. Dans l’épaisse obscurité il voit briller un visage phosphorescent au milieu de pâles éclairs, serpents de lumières, avortons lumineux de la tempête : et tandis qu’il se demande s’il dort, s’il rêve, ou s’il est fou, si un tel prodige, un tel délire est la vérité, soudain il se retrouve à Salamanque ; il aperçoit les édifices, reconnaît où il est et en son vertige affolé, accuse encore le vin et se met à jurer. Ils continuent à marcher, elle devant, lui derrière.

« Vive Dieu ! se dit-il, ou Satan plaisante, ou je n’ai pas ma raison, ou le malaga que j’ai bu fume encore dans ma tête.

« Ombres, fantômes, visions… ce glas funèbre et ces grosses tours qui, confusément, dansent en la mesure d’une telle musique…

« Je vais perdre l’esprit au milieu de tant de choses