Page:Espronceda - L’Étudiant de Salamanque, trad. Foulché-Delbosc, 1893.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et seul, emportant avec lui, impérissable compagne, sa cruelle douleur, a vu rompre le charme magique de son âme — sa peine — son amie et son amante la plus fidèle ;

celui qui a vu ses soupirs emportés par le vent, ses larmes de tristesse se perdre dans la mer, sans que personne n’accoure et n’entende sa voix, le ciel et le monde étant insensibles à son malheur…

celui qui a vu la lune briller au ciel, calme et sereine, pendant qu’il pleurait, les hommes passer sur la terre sans qu’aucun ne détourne les yeux à ses plaintes,

et qui, redoutant lui-même l’ironie du monde, a caché sa peine au plus profond de son cœur, et, refoulant ses sanglots dans son âme, a revêtu ses lèvres d’un faux sourire !…

ah ! celui qui a compté les heures qui passent, heures qu’abrégeait autrefois le plaisir, et qui, aujourd’hui, seul et pleurant, songe comment, avec elles, ont fui à jamais les bonheurs de la veille,

qui sait que ces plaisirs qu’il a perdus, le malheureux, n’ont pas fui du monde, qu’ils y sont encore, que lui vit dans le même monde où il a toujours vécu et que ces plaisirs n’existent plus pour lui !!

ah ! celui qui découvre enfin le mensonge, celui qui a palpé la triste réalité, qui voit le squelette de ce monde et lui a arraché follement sa fausse parure…

ah ! celui qui ne vit que dans le passé !… celui qui nourrit son âme de sa douleur, appelant dans son angoisse les heures qui ont fui, les heures qui ont fui et ne reviendront pas…

celui qui a souffert d’une douleur si barbare, celui qui, durant des nuits entières, sans dormir, sur un lit d’épines