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société en voie de croissance. Régression, dissolution, les deux phénomènes sont liés. Il faut accepter résolument les obligations du temps où l’on vit, et à des maux nouveaux chercher des remèdes neufs.

Et pourtant, si nous pouvons affirmer quelque chose de l’avenir, c’est précisément qu’il sera, dans ses lignes générales, et en un sens différent, semblable au passé. Il n’y a pas de temps nouveaux absolument ; il n’y a que des événements nouveaux, rentrant en somme dans les conditions communes de la vie humaine. On ne verra pas les étoiles tomber du firmament ni les montagnes s’entre-choquer ; mais on ne verra pas non plus, à un signal donné, les hommes renoncer à la distinction du mien et du tien, et la souffrance disparaître du milieu de nous. Point de cataclysme, mais point d’Eden. Le monde ne finira pas, il ne fera pas place non plus à un monde radicalement différent de celui-ci.

C’est un spectacle étrange pour nous que de voir l’illusion millénaire renaître dans les esprits d’une partie de la jeunesse. Y prendra-t-elle corps ? N’est-elle qu’un mirage momentané ? Nul ne le sait. Mais ce qu’on sait, et en toute certitude, c’est que, si elle se répand, si elle se solidifie en une utopie nouvelle, exigeant l’expropriation révolutionnaire, elle sera un jour dissipée par les événements.

La théorie de l’évolution ne peut nier les crises comme faits, mais elle enseigne à les redouter et à les prévenir. Elle enseigne surtout qu’elles ne sont que des moments dans la vie de l’humanité. Une crise ultime, suivie d’un état de choses définitif, est une conception contradictoire. Tout change, tout progresse ou s’altère ici pour progresser ailleurs : si la société idéale était réalisée demain, outre qu’on y souffrirait d’une vive peine, celle de ne pouvoir travailler à son perfectionnement, on éprouverait certai-