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de la chrétienté, et dont Morus avait eu sous les yeux l’image affaiblie à l’Université d’Oxford. Bref nous sommes en présence d’un système social progressif dans ses tendances, régressif dans ses moyens.

Le soulèvement anabaptiste, qui fut très étendu, sinon très profond, et qui agita la Saxe, la Thuringe, la Suisse, la Moravie, la Westphalie et la Hollande, dérive du même ébranlement des esprits lancés en pleine révolution religieuse et prompts à transformer l’égalité spirituelle, proclamée par la Réforme, en égalité sociale. Conduit en général par des humanistes, par des lettrés, mais mystiques, ce mouvement est un véritable accès de millénarisme. Les populations, exaltées par la prédication des prophètes, se croient près d’entrer dans le royaume du Christ réalisé ici-bas. Plus de magistrats, plus de châtiments ni de procès les biens communs à tous ; l’impeccabilité, l’innocence et l’amour libre, c’est toujours le même tableau de vie sociale maximum dans la négation des conditions de toute société, qui sont l’inégalité initiale et l’effort individuel rendu convergent par l’échange. À travers cette fantasmagorie mystico-naturaliste, qui finit, au bout de peu de temps, par des noyades, des têtes coupées et l’exode lamentable des survivants, on entrevoit des faits économiques significatifs : la moitié de l’Allemagne entre les mains de la féodalité ecclésiastique ; un surcroît de population inemployée ; des bergers et des bouviers, en Franconie, dépouillés de tout moyen de subsistance par la vente ou l’usurpation des pâturages communs, et se jetant dans la guerre civile ; bref, tous les éléments d’une crise sociale, dont la crise religieuse n’a été que l’occasion. Inutile d’insister sur le caractère régressif de cette révolte, qui ne fit qu’ajouter des souffrances à des souffrances.

De même que la manifestation doctrinale du socialisme à la Renaissance avait été littéraire et esthétique, non pra-