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la monarchie que son livre lui valut la faveur du roi Henri VIII), le souverain aura donc pour fonction principale d’organiser et de maintenir la communauté des biens et toutes les institutions de l’Utopie dériveront de ce principe. Ainsi l’égalité dans le bonheur terrestre voulue de Dieu, et l’Etat mis en demeure, au nom de la raison, d’assurer, comme substitut de la Providence, l’égalité dans les biens, condition de ce bonheur, voilà, dans ses traits essentiels, la conception sociale de Morus. C’est le théisme demi-évangélique de Locke et de notre xviiie siècle qui fait son apparition.

Il y avait, dans l’Utopie, qui nous paraît banale maintenant à cause même de sa longue fortune littéraire, des idées d’avenir. Cette métaphysique sociale sera celle de tous les esprits libres pendant les derniers siècles de la monarchie en Angleterre et en France. Elle se présente comme émanant non de la révélation, mais de la raison ; elle fait du pouvoir civil, en tant qu’il s’inspire de la raison, une sorte de Providence terrestre ; elle lui subordonne les pouvoirs spirituels tout en réservant la liberté des consciences ; elle lui assigne pour but, non le salut de ses sujets, mais leur bonheur présent ; elle lui recommande de les traiter tous avec une sollicitude égale et d’attribuer les dignités non pas à la naissance, ou à la richesse, mais au seul mérite ; elle est jusque-là, pour le temps, une doctrine de tolérance et de justice. Mais que penser du moyen préconisé par Morus pour fonder l’égalité ? D’où vient ce rêve de la communauté des biens ? De Platon, avons-nous dit ; mais nous savons de qui Platon le tient ; nous savons que l’origine en remonte aux légendes primitives de la Grèce ; nous retrouvons en lui l’âge d’or d’Hésiode et d’Empédocle. Dans la constitution d’Utopie nous reconnaissons ce régime conventuel de l’Institut pythagoricien qui fut ensuite le régime ecclésiastique, puis monastique