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étroite et plus intime, c’est le rêve d’où sont toujours sorties les utopies socialistes.

Quant aux effets, ils se ramènent à la destruction consciente et acharnée de l’unité romaine, de la paix romaine. Deux formes politiques principales se sont succédé dans le monde antique civilisé : la cité, puis l’empire ; l’empire romain a été la continuation de l’empire d’Alexandre, ils reposent l’un et l’autre sur le même principe, l’adoration de la divinité régnante. Les cités helléniques ont succombé, nous venons de le voir, pour avoir été divisées par la question agraire en deux partis et n’avoir pas su organiser sur des bases solides la propriété individuelle. L’Empire romain succomba sous l’action de causes multiples, mais en particulier parce que les partisans des religions nouvelles — dont le christianisme se distinguait à peine à l’origine — opérèrent au sein de son vaste organisme administratif une sorte de rétraction et de sécession, et que dès lors, étrangers à toutes les fonctions civiques, ils n’eurent plus de zèle que pour les intérêts célestes dont les nouvelles communautés avaient pris charge. Le travail agricole, industriel et commercial, le souci de la production et de l’enrichissement, l’activité économique sous ses formes les plus humbles comme les plus hautes, fléchirent et languirent sur toute la surface de cette agrégation d’hommes si laborieuse et si prospère autrefois, comme s’arrêtent lentement à la fois les machines d’un atelier dont la force motrice s’épuise, et cela, avant même les invasions. Le ressort qui avait poussé les hommes à faire cette grande œuvre qu’on appelle la civilisation romaine était débandé par la vie extatique et contemplative, souvent même quelque peu parasitaire, à laquelle les conviaient les communautés philosophiques et religieuses.