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et en y renonçant acquéraient une perfection supérieure. Telle est exactement la règle posée par le Christ et suivie après lui dans la primitive Eglise. Le produit de la vente ou les biens mêmes devaient être remis au chef de la communauté, qui en disposait pour les besoins des membres ou pour le soulagement des pauvres. Cette doctrine est-elle socialiste ? Comment douter qu’elle le soit, puisqu’elle tend formellement à faire prévaloir la propriété collective sur la propriété individuelle ? Le précepte Si vis perfectus esse, n’aurait pas de sens s’il n’impliquait cet autre précepte inconditionnel Estole perfecti (Matth., chap. xix et v). De ce que la communauté des biens n’est pas établie par une contrainte légale, il ne s’ensuit pas que la prescription qui l’impose soit sans vertu : au contraire, de toutes les obligations, l’obligation morale est la plus forte. En fait, nulle part en aucun temps l’expérience du socialisme n’a été tentée dans d’aussi vastes proportions que par les institutions chrétiennes. S’il n’y avait pas eu de vocations à la vie de renoncement, il n’y eût pas eu d’Eglise chrétienne, et jamais, après comme avant l’établissement du célibat ecclésiastique, l’Eglise n’a cru que ce fût un péril à éviter que l’absorption de la cité humaine par la cité de Dieu : dès l’origine, la « fin du monde » a été une éventualité prévue et acceptée. L’illusion millénaire est même une partie essentielle du socialisme chrétien primitif. Il y a donc de toute nécessité une portion de la chrétienté qui vit sous le régime de la communauté ; cette portion représente l’état normal des serviteurs du Christ ; elle réalise un idéal dont le reste doit autant que possible s’approcher : c’est la possession individuelle qui est, du point de vue chrétien, une condition inférieure. Si l’Evangile et les Actes des Apôtres sont orthodoxes, ce que nous venons de dire est au-dessus de toute discussion.

Eh bien ! nous disons que du point de vue de la nature,