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la diffusion de la petite propriété et demande même que l’Etat établisse avec les excédents de revenu une sorte de caisse nationale de prêts qui permette aux pauvres d’acheter une parcelle de terre ou de créer un fonds de commerce[1]. Mais il est, comme Platon, très effrayé de l’accroissement des richesses mobilières, et condamne les progrès économiques les plus manifestes réalisés de son temps.

Au fond, ce qui rend Platon et même Aristote si hostiles à la libre expansion de la richesse par le commerce et l’industrie, surtout par le commerce, c’est la nouveauté de ce mode d’acquisition inconnu jusque-là, du moins dans ses effets les plus frappants, des populations helléniques. Vouées à l’élevage et à l’agriculture, elles voyaient avec scandale de grandes fortunes s’élever sur une autre base que la propriété territoriale et naître comme de rien. Il leur semblait que ces fortunes, issues de combinaisons intelligentes, avaient quelque chose d’artificiel et d’immoral. Là est la vraie cause des restrictions d’Aristote et des conceptions rétrogrades de Platon : leur indignation vertueuse est sincère ; mais c’est un cas de misonéisme. L’art devance la science, et devant les meilleures de ses œuvres l’homme est à de certains moments saisi de doute et d’effroi.

M. Guiraud pense que les doctrines des philosophes ne furent pas sans influence sur le développement du socialisme pratique qui suivit. Mais si les discussions politiques prirent en Grèce, si constamment, à partir du IVe siècle le caractère de luttes sociales, d’autres causes, dont plusieurs sont signalées du reste par le même historien, y contribuèrent beaucoup plus activement. La propriété foncière était la condition des droits civiques, et d’autre

  1. Guiraud, La Propriété foncière en Grèce, p. 591.