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se réalisera alors pour chacun conformément à sa nature[1]. » À quoi la réalisation de ce programme peutelle aboutir, sinon à une juxtaposition d’égoïsmes irréductibles ? « Il n’y a pas, dit le même auteur, à réorganiser, mais à supprimer l’Etat[2]. » Même la commune, même la corporation seront supprimées comme de nouveaux organes d’exploitation et de tyrannie[3]. On se demande où, comment pourra se faire la concentration économique, maintenue contre les doctrines anarchiques, et si l’on ne se trouve pas en présence d’une massé amorphe d’individus réfractaires à toute organisation intelligible.

Quant à la seconde doctrine, elle fait reposer la justice sur la valeur absolue de la personne humaine, en raison du caractère métaphysique ou transcendant qu’elle lui attribue. Puis elle applique ce principe à la répartition des avantages sociaux, elle exige au nom de la justice l’égalité absolue en fait de satisfactions sensibles. L’Etat n’est plus qu’un distributeur mécanique des moyens et des produits du travail, une agence économique au service des individualités jalouses qui l’ont instituée et qui la remanient ou la défont pour la refaire dès que l’inégalité commence à poindre ici ou là. Et c’est encore trop. Quand tous les biens seront socialisés, c’est-à-dire remis aux individus en proportion de leur travail, son rôle se bornera « à empêcher le privilège de renaître, sous quelque forme que ce soit[4]. » Mais n’est-il pas évident que plus

  1. Le Capital, de K. Marx, résumé, etc., par G. Deville, p. 36. L'auteur suppose qu’il y aura encore des gens qui accepteront des tâches dangereuses en échange d’une rémunération plus forte. Quelle sottise ne serait pas la leur ! Comme si un salaire plus élevé pouvait être mis en balance avec la perte de la vie !
  2. Id., p. 17.
  3. Id., p. 21. M. Deville a dit que nous avions volontairement altéré sa pensée. Nous avons de nouveau examine les passages cités et nous maintenons notre interprétation.
  4. Dépêche du 23 octobre 1893, article de M. Jaurès