Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

menacé d’un écrasement nouveau. Il ne s’agissait plus de spéculer, il fallait agir dans des conditions concrètes aussi, aux prises avec les difficultés de l’heure et du lieu. Alors il se forma dans la conscience française un ensemble de règles d’action correspondant à ce besoin primordial de vivre comme nation et puisqu’il n’y avait pas de droit pour le faible, de reconquérir la dignité avec la force. Ce fut là plus ou moins distinctement pour chacun de nous, n’est-il pas vrai, mes chers camarades ? le principe non seulement de notre politique, mais encore de notre morale. Et voyez, Messieurs, la vérité de ce que nous vous disions tout à l’heure, de la solidarité organique des règles d’action ; peu à peu tous les autres principes, les plus rebelles jusque-là à tout compromis, s’ordonnèrent avec celui-là dans la conscience nationale. Il y eut des résistances, mais, et c’est l’histoire de ces vingt fécondes années, graduellement ces résistances s’effacèrent, désarmées par le sentiment de plus en plus vif de ce qu’exigeait le salut du pays. En politique, l’école radicale à laquelle nous appartenions tous sous l’Empire (nous étions radicaux avec Jules Simon et Vacherot), renonça, je ne dis pas à ses préférences, il faut dire à ses dogmes absolus et éternels, pour établir le service militaire obligatoire, la dualité des chambres, avec le suffrage à deux degrés pour l’une d’elles, la sujétion des populations coloniales et bien d’autres mesures de politique utilitaire ; à côté des débats où sévissait l’intransigeance des dogmes, il y eut au Parlement des séances mémorables où, quand l’intérêt du pays était visiblement en jeu, les votes de tous les partis se confondaient dans la même urne. Mais le plus difficile pour nous autres spéculatifs était de nous incliner devant cette règle de moralité nationale qui demande aux citoyens de souffrir sans aigreur chez les autres citoyens des dissidences d’opinion philosophique ou religieuse. Nous avons