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est l’égalité des jouissances et des peines, et nullement celle des choses à consommer ou de la tâche du travaillant. » Il est vrai que les objets eux-mêmes sont de qualité différente et que la distribution peut engendrer des jalousies et des altercations si elle ne tient pas compte de ces inégalités de valeur, soit en alternant les préférences, soit en attribuant par le moyen du sort les meilleurs produits. Mais il faut espérer que sous le régime nouveau, le cœur humain, aigri par l’envie et la malignité des temps d’usurpation, reviendra à sa bonté naturelle. « C’est faire injure à l’auteur de la nature que de supposer que les hommes sont naturellement portés à s’envier, à se haïr et à s’entre-déchirer pour la saveur d’un fruit ou pour la suavité d’une fleur, lorsque les fruits et les fleurs abondent autour d’eux… Le bon sens et l’esprit d’égalité et de concorde aplanissaient à Sparte toutes les faibles difficultés qui aujourd’hui encore ne troublent pas la paix des familles nombreuses, des pensionnats et des logements militaires. » Nous n’avons pas à apprécier cet optimisme. Notons seulement cet aveu que l’idéal social des conjurés était le régime du pensionnat ou de la caserne[1].

L’étendue considérable laissée à l’Etat par les conjurés leur faisait croire que comme les régions de la République sont de fécondité inégale, on devrait compenser le dénuement des unes par le superflu des autres, et faire participer toute la population aux produits privilégiés de quelques provinces. C’est là une fonction importante de l’Etat nouveau. Il tient une statistique exacte de toutes les productions et de tous les besoins, statistique qui lui est rendue facile par la confiance réciproque de tous les membres de la communauté. « De cette connaissance il déduit les dispositions nécessaires pour assurer partout

  1. T. 1, p. 297. Pour Babeuf l’Etat est un grand hospice.