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VI

LA SOCIÉTÉ FUTURE


C’est un anachronisme oratoire que d’appeler cités les sociétés modernes. L’évolution politique ne marche pas au hasard. La forme d’Etats qui a prévalu depuis la fin du moyen-âge est la Nation. Or l’idéal politique et social des philosophes du xviiie siècle, dernier fruit de l’humanisme de la Renaissance, était la cité antique. Aussi, sauf les esprits ultra-simplistes comme Morelly, tous les philosophes ont-ils dû se poser ce problème : comment concilier les principes du droit naturel, c’est-à-dire la liberté et l’égalité absolues, réalisées, pensaient-ils, dans les petites cités pauvres de la Grèce, avec le volume énorme et les conditions d’existence matérielle des nations modernes ? Montesquieu qui avait, au commencement de l’Esprit des Lois, payé son tribut au préjugé universel en faveur des prétendues démocraties antiques, revient vers la fin de son ouvrage par une lente oscillation à une conception plus proche de la réalité contemporaine et admet qu’il puisse y avoir de grandes républiques riches et commerçantes. Rousseau se tire d’embarras par sa théorie de la fédération. Chaque commune rurale — il ne veut ni capitales, ni grandes villes se groupera avec ses voisines et ainsi seront conciliées les exigences de la vertu et les conditions d’équilibre et de défense des groupes sociaux au temps présent. À l’intérieur, les principes souffriront toutes sortes d’atténuations et (pour nous borner à l’objet de ce travail) l’établissement de l’égalité sera reporté au temps incertain