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vernement fera disparaître les bornes, les haies, les murs, les serrures aux portes, les disputes, les procès, les vols, les assassinats, tous les crimes ; les tribunaux, les prisons, les gibets, les peines, le désespoir que causent toutes ces calamités ; l’envie, la jalousie, l’insatiabilité, l’orgueil, la tromperie, la duplicité, enfin tous les vices ; plus (et le point est sans doute essentiel) le ver rongeur de l’inquiétude générale, particulière, perpétuelle de chacun de nous sur notre sort du lendemain, du mois, de l’année suivante, de notre vieillesse, de nos enfants et de leurs enfants[1]. » Babeuf avait toute sa vie souffert des atteintes de ce ver rongeur, et le bonheur qu’il rêve pour l’humanité, c’est d’être sûre de ne pas mourir de faim. Ce souci est le ressort de toute sa philosophie sociale.

Une réforme qui peut donner le bonheur à l’humanité et la ramener aux conditions essentielles du pacte social ne saurait être différée. L’enthousiasme qu’elle suscite est religieux Babeuf dit souvent ma religion pour ma doctrine, il se compare à Socrate, aux Gracques, à Caton, au Christ, à tous les héros des temps modernes[2]. Quand on a de si grandes choses à faire, on ne peut guère attendre. Nous savons que selon nos réformateurs, quand une minorité tyrannique s’est emparée des moyens de subsistance du reste du peuple, quand il y a des malheureux dans l’Etat, le pacte social est rompu ; cela n’a qu’un sens dans le style du temps : il faut détruire les institutions oppressives, il faut faire une révolution. La révolution a le même but que la société elle-même ; elle achève en une fois l’œuvre sociale et accomplit la destinée des peuples ; elle donne le bonheur. C’est elle, dans ce cas, qui est le droit, et les gouvernants, quel que soit le nombre de leurs adhé-

  1. Défense, p. 41.
  2. Encore un point de ressemblance avec le Saint-Simonisme.