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survivance des âmes ; mais il n’introduit dans sa politique aucune conception métaphysique et c’est du sensualisme qu’il tire ses principes, si semblables à ceux du philosophe de Genève qui voit aussi dans le désir de conservation personnelle la base du droit naturel et du droit contractuel. Rousseau a écrit, il est vrai, dans le Contrat social : « La justice vient de Dieu, lui seul en est la source. » Mais ces mots sont une addition à la rédaction première ; ils reflètent une doctrine nouvelle, postérieure de huit ans à la doctrine qui a présidé à l’ensemble de la composition. La politique de Rousseau dans son premier jet repose uniquement sur la mise en commun des besoins et des intérêts. Tel est l’esprit général de la politique du xviiie siècle[1] : l’homme est avant tout pour elle un individu « sensible », doué d’impulsions vitales irréductibles que la loi civile consacre. Le Babouvisme est la dernière expression de cette politique. Mais en même temps il nous présente, nous allons le voir, d’intéressantes nouveautés.

Communauté des biens et des travaux. — Toute appropriation individuelle qui dépasse le nécessaire physique est un vol, plus qu’un vol, un crime, un meurtre. « On ne parvient à avoir trop qu’en faisant que d’autres n’aient point assez[2]. » Babeuf considère cette maxime comme une proposition si évidente qu’il néglige d’en donner la preuve. Le premier des devoirs est donc de vivre de telle sorte que l’on ne dépasse point le minimum de consommation indispensable. La frugalité est la plus nécessaire des vertus. Cela est remarquable dans une doctrine sensua-

  1. La formule que l’égalité repose sur l’identité chez tous les hommes des organes et des besoins est de Mably. Babeuf la cite. Défense, page 49. Il a pleine conscience de ses emprunts à la philosophie antérieure et reproduit dans sa Défense de longs passages de Rousseau, de Mably et de Morelly.
  2. Défense, p. 39.