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la peine du travail, suerait sang et eau et mourrait de faim pour entretenir dans les délices et l’inaction une poignée de citoyens privilégiés. Mais quand cela s’est cependant opéré, comme les droits éternels ne se prescrivent point, j’ai le droit par ma qualité d’homme de revendiquer en tout temps l’exécution du premier pacte, qui, fût-il vrai qu’il eût été tacite, se retrouve écrit par la nature en caractères ineffaçables au fond de tous les cœurs. Oui, il est une voix qui crie à tous : le but de la société est le bonheur commun. Voilà le contrat primitif ; il n’a pas fallu plus de termes pour l’exprimer ; il est assez étendu, parce que toutes les institutions doivent découler de cette source et aucune n’en doit dégénérer[1]. » Le principe de mon droit, c’est donc la volonté incoercible de ne pas souffrir et le principe du droit d’autrui, c’est la volonté que j’ai de ne pas faire souffrir ni laisser souffrir, volonté sans laquelle il n’y aurait plus de société. En d’autres termes le principe du droit c’est chez les uns la volonté de vivre pleinement et de jouir de la vie, chez les autres la sympathie pour l’homme comme être vivant et « sensible, » — « une éternelle pensée d’amour, d’ardeur et de zèle entretenue pour le plus grand triomphe du peuple et l’établissement du maximum de sa félicité[2]. » En entrant dans la société, chacun a, en quelque sorte, prononcé deux paroles qui fondent toute justice : « Je ne veux plus souffrir » et « Je ne veux plus qu’aucun de mes associés souffre. » Contre ces paroles aucune autorité de fait, aucune majorité, aucune unanimité de suffrages ne prévaut. Là est la véritable souveraineté, supérieure même à la volonté exprimée du peuple souverain, parce qu’on peut égarer le peuple et lui extorquer son acquiescement,

  1. Défense, Advielle, t. II, p. 34.
  2. Défense, p. 18.