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cipes de l’action dépendent de la volonté ou du cœur, comme on disait jadis, les conséquences tout entières jusqu’au détail des applications dépendent de l’intelligence. Car le choix des moyens ne relève pas moins de nos préférences que celui des fins. De même que la Virginie de Bernardin de Saint-Pierre ne voulait pas être sauvée par un marin peu vêtu, bien des femmes, malgré leurs souffrances, mues par des scrupules analogues, ont reculé l’intervention médicale au delà du moment où elle pouvait être utile. Les médecins savent que les moyens en général doivent varier avec la clientèle. L’économie politique vous signalera des placements avantageux que vous ne songerez pas un instant à employer. Et si vous êtes père de famille, il y a des moyens d’éducation ou d’instruction peut-être efficaces que vous refuserez à tout prix d’appliquer à vos enfants. Un dernier fait emprunté à l’ordre moral : récemment dans l’Inde anglaise, pendant une période de sécheresse, des nobles ont mieux aimé mourir de soif, plutôt que de boire l’eau des puits souillée par les parias. Il y a des façons de vivre qui importent plus que la vie même.

C’est donc bien à tort que nous nous interrogerions ici sur ce que doivent être, au sens logique, les principes premiers de l’action, comme s’ils pouvaient se rencontrer au terme d’un syllogisme ou d’une série d’expériences. Une nation qui prétendrait rationaliser incessamment ses règles pratiques et où chacun, au lieu d’accepter l’existence sociale comme un postulat au-dessus de toute discussion, devrait de jour en jour réviser les bases de son contrat avec la société, réservant son consentement jusqu’à ce qu’on lui démontre que le compte des profits et pertes se solde en sa faveur, une telle nation serait atteinte d’un mal grave, véritable hyperesthésie de la conscience sociale ; et de même que la prétention de soumettre à la volonté raisonnante l’entrée de l’air dans nos poumons et