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verser. « Au moment de poignarder César, l’immortel Brutus sentait dans son âme une vague et indéfinissable inquiétude… Car, on a beau dire, l’avenir le plus beau, dès qu’il est au bout d’un poignard, cause toujours un certain frémissement. » Mais un rayon de soleil qui vient jouer au matin sur son oreiller, une lecture d’Helvétius[1] ou de Plutarque lui rendent son ardeur et sa con-

  1. Voici ce que lisait Germain, dans Helvétius : « Dans les pays policés, l’art de la législation n’a souvent consisté qu’à faire concourir une infinité d’hommes au bonheur d’un petit nombre, à tenir pour cet effet la multitude dans l’oppression et à violer envers elle tous les droits de l’humanité. Cependant le vrai esprit législatif ne devrait s’occuper que du bonheur général… » « Il n’est nulle société on tous les citoyens puissent être égaux en richesse ou en puissance. En est-il où tous puissent être égaux en bonheur ? Des lois sages pourraient sans doute opérer le prodige d’une félicité universelle. » « Dans la ruche de la société humaine, il faut pour y entretenir l’ordre et la justice, pour en bannir le vice et la corruption, que tous les individus, également occupés, soient forcés de concourir également au bien général et que les travaux soient également partagés entre eux. »
    Le vol est partout, chez le riche qui pille impunément les deniers publics à l’occasion des grands travaux, profite de la concurrence pour obliger le prolétaire à travailler au rabais, écrase ses concitoyens par son luxe et chez le pauvre qui dénué de toute propriété s’expose, pour échapper à la faim, à des répressions sanguinaires. « Quel remède à cette maladie ? Le seul que je sache serait de multiplier le nombre des propriétaires et de refaire un nouveau partage des terres… Mais ce partage est toujours difficile dans l’exécution…
    « Pour remédier au mal, il faudrait changer insensiblement les lois et l’administration, et notamment supprimer la monnaie, qui facilite l’inégalité des fortunes.
    « Mais peut-on, sans la monnaie, jouir de certaines commodités de la vie ? — O riches et puissants ! qui faites cette question, ignorez-vous que les pays d’argent et de luxe sont ceux où les Peuples sont le plus misérables ? Uniquement occupés de satisfaire vos fantaisies, vous, prenez-vous pour la Nation entière ? Etes-vous seuls dans la Nature ? Y vivez-vous sans frères ?… Hommes sans pudeur, sans humanité et sans vertus, qui concentrez en vous seuls toutes vos affections, sachez que Sparte était sans luxe, sans monnaie d’argent, et que Sparte était heureuse ! Sachez que, de tous les Grecs, suivant Xénophon, les Spartiates étaient les plus heureux !
    « Dans les pays à monnaie, l’argent est souvent la récompense du vice et du crime… Les richesses y sont souvent accumulées sur