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le 34e numéro du Tribun (le numéro 33 fut saisi par la police). Enfin le 25 ventôse, il avait été conduit à la prison d’Arras, dite des Baudets, avec Lebois, rédacteur du Journal de l’Egalité. La prison est le terrain favorable entre tous aux conspirations : c’est là que va germer la première idée de celle de Babeuf.

En même temps que le tribun, mais dans une prison différente, se trouvait enfermé à Arras, un méridional, Germain, lieutenant de hussards. C’était une âme passionnée et énergique, un esprit vif et plein de ressources. Babeuf correspondit assidûment avec lui, et le trouvant épris du même idéal à la Plutarque, lui communiqua ses projets de régénération sociale. La lettre où il lui fit cette ouverture nous manque, mais nous en devinons l’importance par quelques mots de la réponse de Germain : « Oui, j’en suis ! Tope, morbleu ! Tope ! et quand tu voudras, je serai prêt. » Ils se plaignent l’un à l’autre de leur inaction. « Vœux inutiles ! paroles vaines ! dit le disciple ; c’est par ton système seul, c’est en proclamant la vraie Liberté, en faisant jouir le peuple de la vraie Egalité que la félicité, l’abondance et la vertu s’établiront parmi nous… » « Ton plan est le Code que les Gracques eux-mêmes eussent promulgué. » Et le maître : « Nous nous usons toujours en paroles et nous n’avançons pas ! À quoi sert notre inaltérable constance ? » — Crois-tu donc, demande Germain, que le moment soit venu d’agir ? » Réduit à l’impuissance, il prend du moins des résolutions définitives il ne veut plus que « le développement en beauté, en esprit, en force et en âge, » qui, « selon le vœu de la nature », appartient à tous, soit interdit à tout un peuple, que d’un côté tout soit luxe et abondance et que de l’autre il n’y ait que haillons et misère ; il est décidé à immoler les factieux. Puis il se trouble et sans que sa volonté faiblisse, il s’épouvante à la pensée du sang qu’il lui faudra