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un revirement qui tourne vers la dernière raison du gouvernement perfectionné du Contrat social : que tous aient assez et qu’aucun n’ait trop. Si c’est là ce que Robespierre a vu, il a vu à cet égard en Législateur. » Les véritables législateurs en effet ne tendront point seulement « par des institutions qu’il soit impossible d’enfreindre, à poser des bornes sûres à la cupidité et à l’ambition, à affecter tous les bras au travail, » ils tendront aussi « à garantir moyennant ce, travail le nécessaire à tous, l’éducation égale et l’indépendance de tout citoyen d’un autre ; à garantir de même le nécessaire sans travail à l’enfance, à la faiblesse, à l’infirmité et à la vieillesse[1]. »

Cette doctrine ne paraît pas seulement ressembler à celle de Robespierre. Elle est exactement celle du « tyran, » mais elle est aussi celle des membres du comité de mendicité élu par la Constituante, celle de Rousseau, celle de Montesquieu. C’est la doctrine constante de la Révolution, comme celle des philosophes ses inspirateurs. Babeuf ne peut donc être en dissentiment avec Robespierre que sur le choix des moyens destinés à ramener l’égalité. En prison pendant la Terreur, il avait dû plus que d’autres réfléchir sur l’emploi de la guillotine, comme moyen d’action politique. Vingt-huit exécutions par jour en moyenne, pendant quarante-neuf jours, à Paris seulement ! Ce régime de sang avait fait horreur aux Hébertistes eux-mêmes. L’imagination de Babeuf en restait ébranlée et il attribuait au Comité de salut public l’étrange projet de détruire autant d’hommes qu’il serait nécessaire pour assurer l’aisance aux survivants. C’est ce qu’il appelait le système de dépopulation. « Maximilien et son conseil avaient calculé qu’une vraie régénération de la France ne pouvait s’opérer qu’au moyen d’une distribution nouvelle

  1. Advielle, t. I, p. 393.